mardi 8 mars 2011

Ne confondons pas Kaurismaki à Kiarostami ...



L’homme sans passé, Aki Kaurismäki.                                                

     A peine arrivé à Helsinki par un train de nuit, un homme est battu à mort par trois individus alors qu’il s’est endormi sur un banc public. Déclaré mort, et pourtant toujours vivant mais profondément amnésique, il tente de se construire une vie avec l’aide des SDF qui l’ont recueilli ; sans identité il doit également faire face aux difficultés d’exister auprès de l’administration.

     D’une trame apparemment bien simple, celle d’un homme renaissant dans l’amnésie, le film de Kaurismäki est pourtant d’une retenue touchante et d’un comique troublant. Car loin des standards émotionnels où les larmes sont de mises pour toucher, et les gags et quiproquos assumés nécessaires à l’amusement du spectateur, L’homme sans passé effleure l’émotion, le sentiment, sans jamais l’appuyer. Les attitudes des personnages qui pourraient, au premier abord, sembler n’être que froideur pour un public peu habitué à ce type de cinéma, s’avère finalement être une sorte de timidité sensible, humble, attachante où les paroles sont versées au compte-goutte, comme si seul l’essentiel était prononcé.
     Le comique quant à lui, est omniprésent dans le film, comme une bouée de secours aux difficultés et quelque part aussi, à un certain pessimisme sur la complexité d’exister socialement quand on est sans-abris et sans identité. L’homme sans passé s’appuie sur un comique parfois presque « cartoonesque » : il n’y a qu’a voir la façon exagérée et accompagnée d’un bruitage lorsque le personnage principal ( Lujanen ) remet son nez en place avant de partir de l’hôpital,  ou encore la scène dans laquelle, amorphe, il se fait voler ses chaussures par un SDF. De même que ces silences infinis qui ponctuent les dialogues, qui soulignent comme une gêne, de ne savoir que faire ( les rendez-vous avec Irma ) ou que dire, qui être, absurdement ( la scène de l’ANPE ). Notre rire est simple, comme le sont les scènes.
     C’est grâce à ce comique que la gravité de l’histoire de cet homme devient seulement latente dans le film, presque secondaire. L’histoire vraie, celle qui prime, reste celle d’une renaissance ; peut-être même d’une naissance à une quarantaine d’années, dans un univers nouveau, quasiment un hors-temps. On ne peut, en tant que spectateur, que s’attacher à quelqu’un que l’on voit grandir, car oui, il grandit : de la becquée à l’émancipation en passant par un « premier » amour, un apprentissage de la vie dans un lieu marginalisé, celui du terrain vague où vivent en communauté les pauvres d’Helsinki, ces gens qui, comme Lujanen, n’existent presque pas aux yeux de l’Etat.
     Et c’est finalement dans cet espace, au milieu de ce groupe d’individus, que la vie semble la plus paisible, où il fait bon vivre. Car eux aussi sont drôles et attachants, grands d’une générosité et d’une compréhension qui ne semblent nullement exister dans l’économie et l’industrie de la ville. De la pauvreté de ces gens et de ce paysage de containers transformés en habitats précaires, émerge une beauté pleine de solidarité, d’autogestion, d’entre- aide et de musique : une richesse ? Certainement. La vie en un sens ne semble pas difficile, le linge étendu sèche devant un ciel bleu azur, on se lave dans un bidon avec de l’eau chauffée versée par un membre de sa famille, on joue de la musique, le temps est beau comme le climat est chaleureux, et le vendredi, on va manger la soupe de l’Armée du Salut comme on irait au restaurant. Même le vigile qui semble un être violent, près de ses sous, est en fait un homme plein d’humanité. Hors des conventions imposées par la société donc, se trouvent des valeurs sans aucun doute bien plus importantes, honorables, et surtout humaines que celles soutenues par la ville.
     Cette beauté n’est pas sans rapport avec la photo, douce, les aspects orangés des lampes la nuit et les couleurs vives des containers délabrés qui contrastent avec la grisaille des murs de la ville, de ceux de la banque, du froid de l’ANPE. Les institutions, tout comme ceux qui la composent sont laids et peu avenants face à la candeur de l’homme neuf et perdu que se trouve être Lujanen. C’est ce contraste qui fait une partie de la réussite du film de Kaurismäki en ce sens qu’il nous amène, nous, spectateur, à voir avec plus d’ébahissement encore le monde dans lequel nous évoluons, à travers le parcours d’un homme au regard novice que nous suivons avec notre expérience ; ce passé que Lujanen n’a plus.
     C’est après une séquence absurde du hold-up d’une banque par un homme désespéré, qui conduit Lujanen en garde à vue, puis à la découverte, enfin, de son ancienne identité, qu’il va renier le monde auquel il n’appartient plus, pour rentrer « à la maison », là où il se sent bien : là où il est né, dans cette … « presqu’utopie sociale » à laquelle on aurait bien envie de participer.

samedi 8 janvier 2011

2010, tape m'en 10.

 Le top du top

Vénus Noire, Abdelatif Kéchiche
Bright Star, Jane Campion
Des Hommes et des Dieux, Xavier Beauvois
Oncle Boonmee ( celui qui se souvient de ses vies antérieures ),
Apichatpong Weerasethakul
Mother, Bong Joon-oh
Dog Pound, Kim Chapiron
Tournée, Mathier Amalric
Inception, Christopher Nolan
Poetry, Lee Chang-Dong
Le Nom des gens, Michel Leclerc



Les comédies à ne pas voir si
on tient à ne pas perdre de temps

L'amour c'est mieux à deux, Dominique Farrugia

Le plan B,
Alan Poul

Valentine's Day,
Gary Marshall





Le film raté avec des têtes connues 
et une affiche pourrie

Nine, Rob Marchall








La méga mention spéciale pour sa fraîcheur de vivre 
Hollywood Chewing-gum qui fout trop la patate

Sound of Noise, Ola Simonsson





La raison d'être de la philosophie des gens qui pensent que le cinéma français est en mauvais état
( Parce-que oui, qu'est ce que c'est nul ! )

Un Balcon sur la Mer, Nicole Garcia
Mon Pote, Marc Esposito




Les comédies qui font rire une minute et puis s'en va

Tout ce qui brille, Géraldine Nakache
Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Woody Allen

( Honte à moi que de mettre Woody Allen au même rang 
que Tout ce qui brille, je sais ! )

Quatre saisons dans un jardin.

Another Year, de Mike Leigh
 
 
 
 Dans Another Year, il y a un couple : Tom & Gerri ( comme Tom & Jerry oui, et à force "ils s'y font"). Du genre super-couple, marié depuis longtemps, elle psychologue, lui géologue, ou quelque chose comme ça et leur fils Joe qui vient les voir de temps en temps.
Tom et Gerri, donc, c'est le noyau dur de l'atome, le bloc stable.
 
 
 
 
 
Et autour d'eux, une collègue de bureau - Mary, névrosée, un ami d'enfance - Ken, seul, désespéré et obèse. Autant d'électrons instables qu'il faut choyer, qui font semblant d'aller bien mais qui montrent inconsciemment ou consciemment que leur vie, c'est pas le paradis.
 
 
 



Tout ce petit monde évolue devant nos yeux le temps d'une année, quatre saisons, et du jardin de Tom & Gerri que l'on voit se transformer, analogie des transformations relationnelles des protagonistes.



 Le film est sans issue véritable : pas de happy end réelle, pas de suicide ou de fin terrible qui tire les larmes au spectateur. Ce sont des portraits satiriques que tire Mike Leigh, pessimiste vision, par ailleurs. Les personnages sont des caricatures "puissancifiées" des névroses et des petits problèmes de l'humanité. Certaines scènes sont drôles, oui : tout est maniéré, telle une mise en scène de théâtre, si j'ose dire. Les dialogues sont saillants, découpés au scalpel. 
On a vu des photos meilleures, d'autre part, mais la lumière de la saison d'hivers est cependant gérée avec brio. Car la saison d'hivers est la saison d'une mort, et la saison de Mary, qui, esseulée, vient tenter de recoller les morceaux avec sa seule famille de substitution qu'est celle de Tom & Gerri. C'est l'humeur glaciale de cet être désespérée que retranscrit la lumière, mais alors qu'elle se réchauffe le temps d'un repas ( le dernier des cinq auxquels on a pu assister ), l'ambiance qui s'est voulu la même, s'est ternie. Le noyau dur de l'atome s'effrite dans sa générosité. Le film se termine sur un silence, glaciale. Une Mary prenant conscience de sa solitude. Et la famille, bonne sous tous rapports n'a presque plus rien de charmant.